Blimond et les origines du village
Le Vimeu au début du VIIe siècle
Au début du du VIIe siècle, le Royaume de Clovis était divisé entre ses descendants, selon la tradition franque. Il coexistait alors les royaumes de Bourgogne (en vert), d'Austrasie (en bleu) et de Neustrie (en orange). Ce dernier royaume, dont faisait partie le Vimeu appelé à cette époque Pagus Vimiaus, était dirigé par Clotaire II, arrière-petit-fils de Clovis. Après de nombreuses guerres fratricides et de complots, Clotaire réussi à réunir sous son nom le Royaume des Francs en 613.
A cette époque, le christianisme qui n'est encore implanté que dans les villes, souhaite convertir les populations des compagnes encore fidèles au paganisme (le culte des anciens dieux).
Afin de convertir le Pagus Vimiaus, l’Église envoya un moine originaire d'Auvergne qu'on appelait Gualaric, Wallaric ou Valery, disciple de l'influent prêtre, saint Collomban, fondateur de l'Abbaye de Luxueil.
Arrivé en Neustrie en 611 en compagnie d'un autre moine nommé Valdolen, Valery demanda à Clotaire la permission de s’installer sur l'une des ses terres. Le roi accepte la requête des deux moines mais leur de demande l'autorisation de Berchund, l'évêque d'Amiens.
Ils arrivèrent à Amiens, que l'on appelait encore Ambianorum et précédé du bruit d'un miracle ayant eu lieu sur leur route, Berchund les accueillit avec grand plaisir et leur proposa de s'établir sur un lieu dont il avait l'habitude d'y faire sa retraite de carême, une colline dominant la Baie de Somme près d'un village de pêcheur nommé Leuconaus.
Après une année d’ermitage sur cette colline, que l'on appelle aujourd'hui le Cap Hornu, les deux compagnons commencèrent leur travail d'évangélisation.
Très vite, grâce aux miracles et aux succès qu'ils rencontrèrent, de nombreuses personnes les rejoignirent dans leur solitude formant peu à peu une communauté, qui deviendra une Abbaye.
La réputation de Valery traversa les frontières du Vimeu, jusqu'aux oreilles d'une famille gallo-romaine vivant sur les bords d'une rivière nommée Isara (peut être l'Oise ou l'Isère). Cette famille, d'un rang assez élevé, avait l'un de ses fils, Gogus, dont les membres étaient totalement paralysés. Sans solutions à cette maladie, ils décidèrent de rencontrer ce moine que l'on disait capable de miracles de guérison.
La rencontre avec Valery eu lieue en 614. Après s'être fait toucher chacun de ses membres inertes par le moine, Gogus retrouva toutes ses sensations et pu ainsi marcher. Ci-contre, la guérison de Gogus par Valery (Vitrail de l'église de St Blimont).
Très reconnaissant envers son guérisseur, Gogus décida de le suivre en devenant lui-même moine. A partir de là, on lui donna le nom de « l'impotent guéri » , en latin Blitmundus et francisé en Blimond.
Blimond, disciple et successeur de Valery
Peu de temps après son entrée dans les ordres, Blimond surprit beaucoup de ses compagnons par sa piété et sa rapidité d'apprentissage des leçons qui donnait Valery. Un lien d'amitié et de confiance s'établit entre les deux hommes.
Nous pouvons citer une de leurs légendes que l'on peut retrouver dans le livre : Balades historiques & culturelles dans le Vimeu, de Jean-Mary Thomas :
"Le Vimeu d'alors était recouvert de forêts et, avec Valery, Blimond débrousaille, défriche, essarte le terrain pour bâtir des chaumières. Un beau jour, en suivant un chemin de la falaise morte jusqu'à Ault, ils s'arrêtent soudainement en entendant deux hommes se disputer en criant. Ils tendent l'oreille :
- "Nom dé Diu d'nom dé Diu d'bon Diu ! O ll'ons copée d'trop court et pi achteure o n'povons point ll'aplacheu !" (Nom de ..., nom de ... ! Nous l'avons coupée trop courte et maintenant on ne peut plus la poser !)
Valery et Blimond s'approchent et demande pourquoi ils blasphèment. L'un des charpentiers répond qu'ils ont coupé quinze pouces trop court la poutre faîtière de la maison qu'ils bâtissent et qu'elle ne sera pas terminée pour Noël. Valery leur dit alors :
- "Ça ne sert à rien de vous emporter, nous allons vous aider !"
Saisissant chacun la poutre aux extrémités, Valery s'écrie alors : "O n-y vo !" (On y va !)
Tirant de toutes leurs forces, la poutre s'allonge miraculeusement des quinze pouces manquants. N'en croyant pas leurs yeux, les deux charpentiers crient au miracle et, en reconnaissance, construiront plus tard une chapelle qui portera le nom de Saint-Valery. Le hameau qui l'entoura prit le nom d'Onival (O n-y vo). Bien sûr, on ne certidie pas que cette légende c'est "vraiment la véritable vérité vraie" ; mais deux vieux pans de mur de cette chapelle sont encore visibles aujourd'hui au hameau du Vieil-Onival."
En 622, Valery âgé d'environ 57 ans, se voit mourir. Il demanda a Blimond, d'être enterré sur le lieu où il s'installa à son arrivée dans le Vimeu 11 ans plus tôt, le sommet de la colline du Cap Hornu.
Le 12 décembre, jour de sa mort, Blimond accomplit la dernière volonté de son bienfaiteur et fut désigné par ses confrères son successeur à la tête de l'Abbaye.
Un an ou deux après cet événement, les moines sont attaqués par des « païens » qui détruisirent totalement l'Abbaye. Certains chroniqueurs pensent aux Vikings, hypothèse peu probable, puisque ce peuple fera ses premières apparitions en France 200 ans plus tard. Il se peut que se soit des locaux non convertis, désapprouvant l'action des moines mais jusque là silencieux, craignant Valery et sa réputation.
Suite à cette attaque, Blimond se réfugia en Italie, au monastère de Bobbio, dirigé par saint Attale, élève de saint Collomban comme Valery.
Pendant ce temps, Berchund, toujours évêque d'Amiens, ayant appris la destruction et l'abandon de l'abbaye de Leuconaus, décida de mettre la dépouille de Valery en sécurité en son église d'Amiens. Seulement, selon la légende, au moment de le déterrer, il lui fut impossible de détacher le cercueil du sol, comme si le corps du moine désirait rester à son emplacement. Berchund abandonna alors sa tentative.
Lorsque saint Attale décéda le 10 mars 627, Blimond voulu retourner pour la première fois depuis 5 ans, dans le Vimeu. Arrivé devant la tombe de son guérisseur, recouverte de ronces et d'épines, il apprit la tentative infructueuse de Berchund. C'est alors qu'il prit cette résolution : « Il honorera ce tombeau que Dieu lui-même à honoré ; il l'enfermera dans une chapelle, il construira une modeste cellule afin de s'y adonner aux rigueurs de la pénitence et aux douceurs de la contemplations ! ».
Comme son maître, suite à une année d'ermitage, Blimond demanda au roi Clotaire et l'évêque Berchund de relever l'Abbaye de ses ruines et de construire une église en l'honneur de Valery (voir ci-après l'hypothèse de l'abbaye dans Les Origines du Village).
Le corps de Valery fut donc transporté le 1er Avril dans la nouvelle église, sans difficulté cette fois et une chapelle fut construite à l'emplacement du tombeau. Cette fameuse chapelle fut au cours des siècle détruite, reconstruite, agrandie, restaurée et elle est toujours connue aujourd'hui sous le nom de Chapelle des Marins.
Sous l'administration de Blimond, les moines revenus en nombre, recommencèrent leur travail d'évangélisation du Vimeu. Ils reçurent alors le soutient du roi Dagobert, qui a succédé à son père en 629, qui en plus de confirmer les droits de propriété de l'abbaye, en donna de supplémentaires. Ce roi est depuis considéré comme un bienfaiteur de l'abbaye.
A cette époque, la grande partie du Vimeu était recouverte de forêts. De plus, les populations encore fidèles au paganisme, vénéraient les arbres qui représentaient les dieux de la nature. Dans leur mission de christianisation, les moines entreprirent de défricher ces zones de culte « païens » et d'y construire à la place des fermes (Curtis en latin) afin d'y développer l'agriculture et nourrir les moines de plus en plus nombreux. Mais c'était une méthode pour employer les locaux et ainsi les convertir. C'est ainsi que plusieurs de nos villages, dont le nom se termine par -court, furent créés. (Voir ci-après l'hypothèse de la Curtis dans Les Origines du Village).
Blimond considéré comme un homme juste et proche des pauvres, réalisa avec succès la mission commencée par Valery d'évangéliser le Vimeu. Il décéda le 3 janvier 650 (certains pensent en 673-74) et son corps fut certainement placé au côté de son maître et guérisseur, dans l'église de l'abbaye.
Il est considéré depuis comme le deuxième fondateur de l'abbaye et le principal contributeur du culte de saint Valery, il sera pour cela et pour son action canonisé.
Les moines qui ont succédé à Blimond à la tête de l'abbaye commencèrent la rédaction de la vie des deux fondateurs. Raimbert ou Ringebert fut le premier, à la fin du VIIe siècle, mais son texte apparemment trop simple fut embelli par un moine inconnu du VIIIe siècle.
A partir de 830, les Vikings font leur apparition sur les bords de la Somme et commencent à ravager les pays alentours.
Les monastères et abbayes étaient très prisés par ces envahisseurs. Il est fort probable que celle de saint Valery fut victime de ces pillages et peut-être à plusieurs reprises. Il est noté que les corps de saint Valery et saint Blimond ne furent pas touchés par ces ravages, puisqu'ils n'étaient pas encore mis en châsse, mais sûrement dans un tombeau à l’intérieur de l'église.
Suite à ces attaques répétitives, rendant la région inhospitalière, l'abbaye fut peut-être abandonnée un seconde fois au milieu du Xe siècle.
Il est rapporté qu'à ce moment, Arnoul le comte de Flandre, s'était emparé des corps de saint Valery et de saint Riquier (celui de saint Blimond n'est pas mentionné). Le comte de Paris, Hugues Capet, vit en rêve les deux saints lui demandant de ramener leurs corps à leurs tombeaux et ainsi il deviendra roi des Francs. Hugues alla chercher les dépouilles à Saint-Omer chez le comte de Flandre et c'est ainsi que saint Valery revint le 2 juin 981 à Leuconaus qui pris alors le nom de Saint-Valery. Une nouvelle abbaye fut construite près du Cap Hornu et les reliques de saint Valery et saint Blimond furent mises en châsse et placées dans la nouvelle église.
Les Origines du Villages
La fondation de notre village remontant au delà de l'an mille, nous n'avons aucun documents ou preuves de son origine. A défaut de vous donner la véritable origine du village, nous allons vous exposer les différentes hypothèses qui sont parvenues jusqu'à nous.
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La seconde abbaye se trouvait entre St Blimont et Lanchères
Lors de son retour d'Italie en 627, Blimond avec le soutient du roi Clotaire et de saint Berchund décide de reconstruire l'abbaye détruite quelques années plus tôt, en l'honneur de saint Valery.
L'abbé Corblet pense que cette deuxième abbaye fut construite sur un lieu que l'on nommait « La plaine d'argent » qui se trouve à 2 km au nord de Saint-Blimont, entre Lanchères, Tilloy et Elincourt. D'ailleurs à l'emplacement indiqué existe toujours un bois dit de l'Abbaye. Cela aurait été peut-être un lieu plus isolé afin de se protéger des destructeurs païens de l'ancienne abbaye.
Cette deuxième abbaye aurait été détruite au Xe siècle par les Vikings et c'est ensuite par l'initiative d'Hugues Capet qu'une nouvelle fut construite en 981 entre le Cap Hornu et la vieille ville de Saint-Valery.
Le village qui deviendra Saint-Blimont, fut peut-être crée par les moines, non loin de cette seconde abbaye, comme une ferme annexe.
Cependant, cette théorie est peu soutenue par la majorité des historiens ayant travaillé sur l'histoire de l'Abbaye.
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La Curtis de saint Blimond
Comme nous l'avons vu plus tôt, afin de se nourrir mais aussi de convertir les populations locales, les moines défrichaient les forêts vénérées par les païens et bâtissaient des fermes que l'on appelant Curtis en latin.
Saint Valery a dû construire une ferme (où il pouvait y vivre) sur une terre du Vimeu que l'on appelait encore au XIIe siècle Valerici curtis qui deviendra Vaudricourt. Ce village est le plus proche de Saint-Blimont. Nous pouvons alors imaginer que Blimond ait bâti une Curtis sur la colline d'en face et tout comme Valerici curtis, cette ferme en accueillant de nouveaux habitants s'agrandira pour devenir un village qui prit plus tard le nom de son fondateur.
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Seigneurs de Saint-Blimond
Une dernière hypothèse était utilisée par les seigneurs de Saint-Blimond, qui se disaient issus de la famille du saint.
Au moment où le jeune Gogus guéri prit la décision de rejoindre Valery et rester dans le Vimeu, sa famille décida de rester auprès de lui. Elle s'installa peut être non loin du lieu où vivait les moines (Valerici curtis ou la seconde abbaye) et peu à peu de nouveaux habitants vinrent agrandir leur Curtis, ce qui forma un village.
Un frère de Blimond eu des enfants, dont la descendance prit le titre de seigneurs de Saint-Blimond et donna ce nom au village qu'ils administraient.
Avec le temps, cette famille devint très importante et acquit de nombreuses terres et seigneuries. Elle s'est éteinte au sein des Princes de Berghes St Winock en 1875.
Pour plus de détails, vous pouvez lire notre article sur : L'histoire des seigneurs de Saint-Blimond
Grâce aux archives, nous pouvons voir l'évolution de l’appellation de la terre ou du village :
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1121 : Sanctus Blimundus
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1140 : Casa de sancto Blimondo
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1140-1210 : Sanctus Blismondus
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1284 : Sanctus Blithmundus
C'est à partir du XIVe siècle que le nom se fixa entre St Blimond (comme les seigneurs) et St Blimont.Il est dit que c'est pendant la Révolution française, peut-être avec l'abolition de la monarchie en 1792, que le -d est officiellement remplacé par le -t , afin de se démarquer des nobles, qui a cette époque, avaient émigré en Angleterre.
Culte de saint Blimond
C'est à ce même moment que revient au devant de la scène saint Blimond. Depuis 981, ses reliques se trouvaient dans l'église abbatiale à Saint-Valery avec celle de son guérisseur. Grâce à la bienfaisance des moines, les châsses furent préservées des nombreuses guerres qui ont ravagées le Vimeu (guerre de 100 ans, conflit Franco-Bourguignon, guerres avec les Espagnols, guerres de religions, …). Cela jusqu'à la Révolution de 1789 où l'Abbaye fut vendue comme « biens d’État ».
Suite à cela, les paroissiens de Saint-Blimont en profitèrent pour récupérer les reliques et la statue de saint Blimond. Après en avoir fait la demande auprès des « administrateurs du Directoire de la Somme », la translation des reliques eu lieu le 21 juin 1791. Seul le menton resta à Saint-Valery, car les habitants souhaitaient garder une partie de lui.
La dernière marquise de Saint-Blimond financera en 1840 l'agrandissement de l'église et la construction d'un bas-côté dédié à saint Blimond où repose depuis les deux reliquaires.
Durant une centaine d'année (1890-1981), la paroisse de Saint-Blimont fêtait chaque année la saint Blimond le 3 janvier (jour de sa mort).
Pour cela, un jeune homme du village était choisi pour représenter le saint pendant une année. Le 3 au matin, les autres jeunes venaient le chercher chez lui où ses parents offraient un café. C'est à ce moment où le saint Blimond sortant passait le cierge au nouveau. Le cortège rejoint ensuite l'église où une messe « d'intronisation » a lieu.
Il avait alors durant l'année plusieurs responsabilités, comme lire l'évangile ou faire la quête pour certaines cérémonie.
Cette tradition s'est arrêtée en 1982, faute de participants.
Une dernière procession avec les reliques de saint Blimond eu lieu le 21 juin 1991 pour le bicentenaire de leur retour.
Cette histoire étant tirée d'un récit écrit par un moine du VIIe siècle, retouchée et embellie par d'autres religieux du VIIIe et XIe siècles, il est difficile aujourd'hui d'y faire la part des choses entre le vrai du faux, de l'imaginaire et le réel.
Nous avons voulu présenter cette légende dont est issue notre village, qui concerne également Saint-Valery-sur-Somme et le Vimeu plus généralement.
Mais elle résume une période de transition, aussi bien politique (entre Empire romain et Royaume de France) que religieuse (entre anciennes religions et christianisme) et culturelle (entre civilisation latine et germanique).
De cette période seront crées une grande partie de nos villages et les fondements de notre histoire moderne.
SOURCES
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La vie de Saint Valery, telle qu'elle a été écrite dans le VIIe siècle, (1821)
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Histoire de Saint-Valery – Le bienheureux, l'abbaye, la ville, Abbé CARON (1893)
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Histoire de Saint-Blimont et des villages alentour, Rémi DIMPRE (1899)
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Saint Valery, Apôtre et Guerisseur, Société d'émulation historique et littéraire d'Abbeville (1977)